Par Harold Larente, le 1er décembre 2018
Le 18 novembre 1687, Barthélémy Vinet dit Larente décède d’une pleurésie[1]. C’est du moins ce que Pierre Rémy, curé de la paroisse des Saints-Anges-Gardiens de Lachine a indiqué dans son acte de sépulture du 19 novembre 1687. On peut en douter. Nous verrons dans ce billet, la doctrine médicale de cette époque, les traitements de la maladie, en particulier de la pleurésie. Nous ferons une très brève biographie des chirurgiens André Rapin dit La Musette et Antoine Forestier qui sont appelés à son chevet pour le traiter. Enfin, nous nous questionnerons sur les causes de sa mort. Serait-il mort d’une maladie épidémique?
Les causes de pleurésie
À cette époque, l’on s’en remet à la théorie des humeurs[2] et des miasmes[3] dans le diagnostic des maladies et de leur traitement. La doctrine médicale de la théorie des humeurs, élaborée peu à peu par Hippocrate (460 env.-env. 370 av. J.-C.) et les auteurs du Corpus Hippocraticum, puis par Galien (129-env. 201), a joué un rôle prépondérant dans l’histoire de la médecine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle environ. La théorie humorale considère que la santé de l’âme comme celle du corps réside dans l’équilibre des humeurs — sang, flegme, bile jaune, bile noire — et des qualités physiques — chaud, froid, sec, humide — qui les accompagnent. Toute maladie, due à un dérèglement du jeu de ces éléments, est ainsi susceptible d’une explication purement physique.[4]
La saison où la pleurésie exerce leurs plus grandes « hostilités » et où elles deviennent épidémiques est depuis la mi-printemps jusqu’à la mi-automne.[5] Dr Lurde dans son mémoire de 1738, suivant ses trente-cinq ans de pratique, mentionne que les causes :
« font prefque toujours le froid dont on a été faifi, foit-pour avoir bû trop frais, foit pour avoir été furpris de la pluye, foit pour s’être livré aux délices trompeufes de la fraîcheur du vend de Nord ou des endroits ombragés le corps étant en sueur; d’où il arrive que la tranfpiration interceptée fe jette dans les premières voies qu’elle délaye tout-à-coup les humeurs [souligné par nous] qui y croupiffoient & les fait couler dans le fang; que les vaiffeaux de la plévre & du poumon étant les premiers à reffentir les impreffions du froid extérieur, ils fe refferrent auffi les premiers & que par-conféquent le fang doit par préférence former des arrêts dans leurs calibres retreffis.
Enfin n’eut-on à fe reprocher aucune de ces imprudences, on contractera tout-à-la fois une fièvre putride & une Pleurésie, fi par l’irregularité de la faifon, l’air paffe fubitement du froid au chaud, ou du chaud au froid, sur-tout quand on s’eft dégarni trop à bonne heure; de-là vient que ces maladies font plus communes dans le Printems & dans l’Automne, où la viciffitude des changemens de l’air eft plus remarquable principalement dans ce climat où des orages fréquens & fi souvent mêlés se grêle, font des changemens fi prompts dans la température de l’air. »[6]

Les symptômes de la pleurésie
Le plus souvent la maladie s’annonce par un frisson accompagné de nausées, auquel succède le chaud d’une fièvre aiguë, lequel étant bien établi, surviennent le point du côté, la difficulté de respirer, la toux importune, signes caractéristiques de la pleurésie. À ces « accidens » se joignent, quelquefois le premier jour, plus souvent le second où le troisième, des crachats mêlés de sang; parce que cette maladie est ordinairement compliquée avec la péripneumonie.[7]
Le traitement
À Montréal, depuis sa fondation en 1642 jusqu’à sa capitulation en 1760, soit pendant plus de 118 ans de Régime français, les soins de santé de la population civile et militaire furent assurés uniquement par des chirurgiens. En effet, aucun médecin diplômé d’une université européenne ne vint pratiquer sa profession dans le gouvernement de Montréal.[8] Les chirurgiens de la colonie, pratiquement tous formés en France, pouvaient assurer les soins médicaux, car il suffisait d’appliquer la théorie des humeurs et des miasmes qu’ils connaissaient.[9]
Le traitement des maladies vise donc à rétablir l’équilibre des humeurs dans le corps. On utilisera principalement quatre formes de thérapeutiques : la saignée, les lavements, la sudation et la diète.[10]
Ainsi, le Dr Lurde propose pour traiter la pleurésie « d’empêcher que l’embarras des vaisseaux n’augmente, & de détruire celui qui eft déjà formé. »[11]

La saignée
Pour ce faire :
« on diminuera le volume du fang, & on modérera l’impétuofité avec laquelle il fe porte à l’endroit enflammé, par le moyen de la saignée.
On commencera donc par faire une, deux ou trois faignées, fuivant la plénitude des vaiffeaux, l’âge & le tempérament du malade, la violence de la fièvre, la tenfion de l’artére, l’urgence des fymptômes, dont les plus preffant font le point du côté & la difficulté de respirer. »[12]
Ces saignées seront de plus en plus copieuses et espacées d’au plus quatre heures.
Les lavements
« Les vaiffeaux ainfi défemplis & leurs fibres devenues plus lâches & plus fouples, on attaquera fans perdre de tems, la caufe de la fièvre & de l’épaiffiffement du sang, par le moyen d’un remède qui agiffe par haut & par bas. »[13]
Pour ceux ou celles que cela intéresse, les recettes pour purger le malade et la médication pour ce type de maladie est abondamment décrite suivant l’évolution de la maladie dans l’ouvrage du Dr Lurde précédemment cité.

Traitement contesté
L’historien Omer Denis-Messier rapporte que :
« Déjà à cette époque certaines personnes dénoncent ce traitement comme abusif. Ainsi, une hospitalière de l’Hôtel-Dieu, Mère Saint-Hélène, déplore l’utilisation excessive de ces thérapies: « Nous avons eû […] une maladie qui a rogné qui a enlevé bien du monde, et ceux qui en sont revenus ont de la peine à se remettre à cause des remèdes continuels qu’on leur fait prendre, et des saignées fréquentes et copieuses qu’on leur fait ». Un autre observateur contemporain estime que « Le sang étant la mèche de la vie, il serait plus avantageux d’en remettre dans les vaisseaux que de l’en faire sortir ».[14]
Les chirurgiens qui ont soigné Barthélémy Vinet dit Larente
Comme mentionné au début de ce billet, André Rapin dit la Musette et Antoine Forestier ont traité Barthélémy Vinet dit Larente pour sa pleurésie.
André Rapin dit La Musette[15]
André Rapin est né en France vers 1640 à Saint-Paul dans l’évêché de Luçon au Poitou. Il est le fils de Jean Rapin et de Marie Boulandreau. Le 25 novembre 1669, à Montréal, il épouse Clémence Jarry, native de Montréal et fille d’Éloi Jarry, originaire de Saint-Martin-d’Igé, et de Jeanne Merrin de Saint-Michel, évêché de Poitiers.
Ce n’est qu’à partir de 1681 qu’il est mentionné comme chirurgien, soit lors du recensement de l’année 1681. M. Rhéault suppose qu’il a fait son apprentissage à Montréal sous la tutelle d’un chirurgien-barbier comme la Loi s’exigeait à l’époque. Il a possiblement fait son apprentissage auprès de Jean Gaillard, qui était le chirurgien attitré de l’Hôtel-Dieu de 1672 à 1680 et que Rapin a remplacé dans cette institution.
André Rapin décède à l’âge de 54 ans à Lachine le 27 décembre 1694 et est inhumé le 28 décembre 1694.
Antoine Forestier[16]
Antoine Forestier est un chirurgien militaire qui arrive à Québec le 18 août 1665 à bord du navire l’Aigle d’or avec le régiment de Carignan-Salières. Il faisait partie de la compagnie de M. de Lamothe. Né en 1646, il est le fils de Jean Forestier et de Françoise Ricard, de Séverac-le-Château de l’évêché de Rhodez en Rouargue (auj. Rouergue).
Le 3 novembre 1670, devant le notaire Bénigne Basset, il passe un contrat de mariage avec Madeleine Lecavelier. Le mariage est célébré avec pompes quelques jours plus tard, le 25 novembre 1670, en l’église Notre-Dame de Montréal. La mariée est âgée de 14 ans et le marié a 24 ans.
Chirurgien éminent et médecin légiste. En peu de temps, Forestier devient un des chirurgiens les plus populaires à Montréal et les autorités judiciaires le réclament comme expert médico-légal pour faire des enquêtes, des examens et pour témoigner dans les cas suspects d’actes criminels. En se basant sur le Rapport du Secrétaire et Registraire de la Province de Québec pour les années 1889 à 1891, Ahern a recensé plus de 40 causes où son nom est mentionné et pour lesquelles on a utilisé ses connaissances pour éclairer la justice. Un médecin très en vue. Antoine Forestier, selon Ahern, est considéré comme un des médecins les plus en vue à Montréal. Son rôle dans la société montréalaise est certainement des plus importants quand on considère son travail comme médecin à l’Hôtel-Dieu de Montréal, sa participation médico-légale et sa fonction comme chirurgien major.
Le 7 novembre 1717, à l’âge de 72 ans, après une carrière des plus remplies, Antoine Forestier décède à Montréal où il est inhumé. Le service a lieu à l’église Notre-Dame. Son épouse décédera le 27 janvier 1719. Trois de ses garçons embrasseront le métier de chirurgien.
Les interventions de ces chirurgiens
Il est fort probable qu’André Rapin est le premier appelé pour le soigner. André Rapin demeurait à Lachine au recensement de 1681 sur la concession voisine de celle de Barthélémy Vinet dit Larente.[17] Il a probablement passé une grande partie de sa vie active comme chirurgien à Lachine. Selon Rhéault, après l’automne 1677, c’est presque uniquement dans les registres de la paroisse des Saints-Anges-de-Lachine qu’on le retrouve comme témoin sur plus de 62 actes[18]. Il décède au mois de décembre 1694 également d’une pleurésie.
L’inventaire après décès de Barthélémy Vinet mentionne que la succession doit 10 livres à André Rapin pour le traitement et les médicaments qu’il lui a fournis pour sa maladie.[19]
Antoine Forestier est certainement appelé en renfort, car celui-ci est le chirurgien le plus populaire auprès des habitants de Ville-Marie.[20] Selon Rhéaut, la compétence et les qualités morales d’Antoine Forestier sont reconnues non seulement par la population de Montréal, mais aussi par les religieuses hospitalières de l’Hôtel-Dieu qui lui octroie le 20 août 1681 un contrat d’engagement comme médecin de « l’hospital de ville marie».[21]
Forestier fera deux voyages « express du Montreal a Lachine pour soigner ledit deffunct Vinet dans le temps de sa maladye ».[22]
Est-ce que la pleurésie est la cause du décès?
L’histoire nous indique que malgré l’intervention de Rapin et de Forestier la situation de sa santé ne s’améliore pas. Barthélémy Vinet dit Larente décède le 18 novembre 1687. Il sera inhumé le lendemain à l’intérieur de l’église des Saint-Anges-Gardiens de Lachine.

Transcription de l’acte de décès (règles de transcription)
« Ce jourd huy 19ième novembre 1687 a esté inhumé dans cette eglise le corps de deffunct Barthelemy Vinet dit Larante vivant laboureur ancien marguillier de cette paroisse lequel mourut le jour d hier de pleuresie cette inhumation a esté faitte en presence des sieurs Jean Baptiste Pottier notaire de Jean Paré marguillier de ladite paroisse quy ont signé Remy curé »
Est-ce vraiment la pleurésie la cause du décès? On peut en douter.
Les historiens, Yves Landry et Rénald Lessard[23] également archiviste, démontre, à partir d’une compilation des causes de presque tous les décès indiqués dans les registres de Lachine, à l’initiative particulière du curé Rémy, pendant une période de plus de vingt-cinq ans (1681-1706), l’importance relative des maladies épidémiques dans l’ensemble des causes de décès.
Les années 1687 et 1703 ont été les plus meurtrières. Alors qu’à Lachine le nombre annuel de décès enregistrés n’a dépassé 10 que 5 fois en 26 ans, il a atteint 24 en 1687 et 37 en 1703.[24]
« L’épidémie de fièvre pourpre (typhus) et de rougeole de 1687 aurait causé la mort d’une vingtaine de personnes à Lachine entre le mois d’août et la fin de décembre de cette année. Les mentions de fièvres (8 cas), de maladies (7 cas), de flux de ventre (1 cas) et probablement de pleurésie (3 cas) doivent être associées à cette épidémie. »[25]
La fièvre « fièvre pourpre » est la première épidémie d’importance au Canada en 1687.[1]↑ C’est ce qui est indiqué comme étant la cause de son décès dans l’acte de sépulture. La pleurésie Définition tirée du Furetière : eft une maladie qui emporte le malade en peu de temps, qui eft caufée par l’inflammation de la pleure avec fievre aigue, difficulté de refpirer, & grande douleur de cofté. Il y a quatre fortes de pleurefie; celle fternum, du thorax, celle ___, & celle des baffes coftes. Elle s’étend quelquefois jufqu’à la clavicule, quelquefois jufqu’à l’hypochondre. La viefe pleurefie a fon fiege dans la pleure, ou du moins aux muscles intercalleurs qui luy font adherents. Source : […] Antoine (1619-1688) Auteur du texte Furetière, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts… ([Reprod.]) / par feu Messire Antoine Furetière, 1690. Ce dictionnaire peut être consulté en ligne en suivant ce lien https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50614b. La lettre « f » dans les textes de cette époque est assimilée à la lettre « s » d’aujourd’hui.
[2]↑ Pour se familiariser avec cette théorie voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_humeurs, consulté le 23 novembre 2018.
[3]↑ Pour se familiariser avec cette théorie voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_miasmes, consulté le 23 novembre 2018.
[4]↑ Tirée du site Universalis à l’adresse suivante https://www.universalis.fr/encyclopedie/theorie-des-humeurs/ consulté le 23 novembre 2018.
[5]↑ Dr Lurde, Mémoire sur les pleurésies et les péripneumonies qui règnent tous les ans à Auch et dans les environs, avec la manière de les traiter, par M. Lurde, E. Duprat (Auch), 1768, p. 12. On peut consulter le mémoire de ce médecin en suivant ce lien https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61199723 .
[6]↑ Ibid., p. 12‑13. La lettre « f » dans les textes de cette époque est assimilée à la lettre « s » d’aujourd’hui.
[7]↑ Ibid., p. 6.
[8]↑ Marcel Rhéault, La médecine en Nouvelle-France. Les chirurgiens de Montréal, 1642-1760, Les éditions du Septentrion, 2004, p. 13.
[9]↑ Ibid., p. 71.
[10]↑ Omer-Denis Messier, « Soigner au XVIIe siècle : L’équilibre des humeurs », Cap-aux-Diamants, 1989, p. 43.
[11]↑ Dr Lurde, Mémoire sur les pleurésies et les péripneumonies qui règnent tous les ans à Auch et dans les environs, avec la manière de les traiter, par M. Lurde, op. cit., p. 14.
[12]↑ Ibid.
[13]↑ Ibid.
[14]↑ O.-D. Messier, « Soigner au XVIIe siècle : L’équilibre des humeurs »…, op. cit., p. 44.
[15]↑ Les informations sur André Rapin sont tirées de l’ouvrage de M. Rhéault, La médecine en Nouvelle-France. Les chirurgiens de Montréal, 1642-1760…, op. cit., p. 289‑290.
[16]↑ Ibid., p. 189‑192.
[17]↑ Voir le billet numéro 8 intitulé « Le patrimoine immobilier de Barthélémy Vinet dit Larente s’accroît » sur ce blogue en suivant ce lien : http://blogharoldlarente.ca/2018/02/25/8-le-patrimoine-immobilier-de-barthelemy-vinet-dit-larente-saccroit/#more-492 .
[18]↑ M. Rhéault, La médecine en Nouvelle-France. Les chirurgiens de Montréal, 1642-1760…, op. cit., p. 288.
[19]↑ 4 décembre 1687, Inventaires des biens de Barthelemy Vinet dit LaRente (1687-12-4 au 18), greffe du notaire Jean-Baptiste Pottier, [1686-1701], ANQ-M, Microfilm M-620.138.
[20]↑ M. Rhéault, La médecine en Nouvelle-France. Les chirurgiens de Montréal, 1642-1760…, op. cit., p. 35.
[21]↑ Ibid., p. 36.
[22]↑ 4 décembre 1687, Inventaires des biens de Barthelemy Vinet dit LaRente, op. cit.
[23]↑ Yves Landry et Rénald Lessard, « Les causes de décès aux XVIIe et XVIIIe siècles d’après les registres paroissiaux québécois », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 48, n° 4, 1995.
[24]↑ Ibid., p. 524.
[25]↑ Ibid., Landry et Lessard mentionnent que les autorités coloniales ont eu du mal à identifier précisément cette épidémie: « Ces maladies ont commencé par la rougeolle II y a du pourpre et ensuite des fluctions Sur la poitrine », ont noté le gouverneur et l’intendant. Lettre de Denonville et Champigny au ministre, 6 novembre 1687, Archives des Colonies, série C11A, vol. 9, f. 5r.
Bravo Harold, J’aime voir les textes en anciennes écritures et avec sa traduction.
Excellent et enrichissant.
Lâche pas.
Lâche pas Harold j ai lu tes deux dernières publications c’est très intéressant bravo
Merci Yvon,
Bravo Harold. Ton texte est très intéressant. Un véritable travail d’enquête dont tu pourrais te servir pour donner des conférences.
Toutes mes félicitations!
Suzanne Marcotte
Merci Suzanne!