Par Harold Larente, le 9 novembre 2018
Le présent billet présente quelques notes sur le parcours de serviteur de Jean Senelé.
Données généalogiques
Jean Senelé (Senellé, Senelay) dit Laprairie, fils de Pierre Senelé et de Marie Prou, de Couhé, évêché de Poitiers au Poitou, est né vers 1631 en France.[1] Il est au pays en 1671.[2]
Vers l’âge de 43 ans, il épouse à la basilique Notre-Dame de Québec, le lundi 29 janvier 1674, Renée Jousselot, fille de Pierre Jousselot et d’Ozanne Drapeau. Les parents des époux sont décédés à l’exception de Pierre Jousselot, le père de la mariée. Jean Levasseur, Michel Berthelot, Jacques Delaunay ainsi que le père de la mariée sont présents à la cérémonie de mariage.[3] Le couple aura cinq enfants : Louise (c.1677-1703), Jacques (1679-?), Marguerite (c.1682-1758), Marie-Madeleine (1684-1687) et Marie-Louise (1686-1762)[4].
Contrat de mariage
Un peu plus d’un mois avant cette cérémonie, soit le vendredi 22 décembre 1673, le couple se rend chez le notaire Pierre Duquet pour déterminer leurs volontés par contrat de mariage.[5][6] Outre les conditions habituelles entre époux, le père de la future épouse :
«[…] a promis et s est oblige de donner comme de faict il donne du tout dez maintenant a tousiours auxdits futurs espoux une habitation a luy appartenant scize en la coste Saint Gabriel avec ses circonstances et despendances sans en rien reserver ny retenir pour en jouir par eux leurs hoirs et ayants cause en toutte propriété et en faire ainsy qu ilz adviseront bon estre, et d’habiller ladite future espouse selon sa condition, a la charge que pendant que Dieu continuera la vie audit Jousselot lesdits futurs espoux se sont obligez d’en avoir soing, et le nourrir comme de veritables enfanz doivent leur pere, autrement le présent nul a cet esgard […].»[7]


Jean Senelé pourra quitter les pères jésuites de Québec où il réside[8] et s’installer sur la terre de son beau-père.
Jean Senelé, une vie de servitude ?
Les serviteurs et les domestiques dans la colonie entre 1666 et 1681 occupent une proportion relativement importante par rapport à l’ensemble de la population coloniale. Arnaud Bessière estime ces travailleurs à 13.7% de la population totale en 1666, soit à peu près un domestique pour huit personnes. En 1667, ce pourcentage diminue légèrement pour atteindre 11.5%, soit un serviteur pour neuf individus environ. Enfin, en 1681 la proportion des domestiques est à son plus bas niveau, représentant 5.1 % de la population totale (soit un rapport de 1 pour 20).[9]
Les tâches d’un domestique en milieu rural ou l’ouvrier agricole consistent à labourer la terre, l’ensemencer et la cultiver, mais aussi couper les récoltes, faire les foins, battre les grains, les vanner et les engranger.[10] De plus, pour certains, soutenir leur « maître » dans ses obligations à défricher un certain nombre d’arpents découlant de leur contrat de concession et fournir des journées de corvée obligatoire imposées par le seigneur.[11][12]
Jean Senelé, a sans doute été recruté comme serviteur par la Compagnie des Indes occidentales, puis acheté par Pierre Boucher de Grosbois, gouverneur des Trois-Rivières.[13] En 1672, Jean Senelé est serviteur chez Pierre Gadois, armurier[14]. Celui-ci cède ensuite ses services à titre de compagnon à Marin Hurtubise, premier époux d’Étiennette Alton[15], le 14 mars 1672[16].

Par ce contrat, il :
[…] a reconnu et confessé, s’estre engagé, audit Heurtebise pour ce present et acceptans de luy rendre tous et chacuns ses services en tout lieu dont il sera trouvé et jugé capable pendant le temps des trois années finis et accomplis qui ont commencé, des le vingt septiême fevrier dernier passé, et promet pour finir trois anées apres a pareil jour et en suivant et promet pendant ledit temps servir fidelement ledit Heurtebise en tout ce qui luy sera commandé […].[17]
Marin Hurtibise doit le nourrir, le loger et le « traitter humainement »[18] et lui payer comme gage cent-cinq livres tournois par année. Une grande partie de ses gages seront retenus par Marin Hurtubise. Il en retiendra cent quatre-vingt-huit livres répartis comme suit :
- Cent soixante-treize livres huit sols dont il s’est engagé à rembourser au sieur Boucher, pour les services dudit Senelé acquis du sieur Boucher par Pierre Gadois;[19]
- Quatorze livres huit sols que Pierre Gadois a avancé à Jean Senelé.[20]
Ces cent quatre-vingt-huit livres d’obligation de Marin Hurtubise envers Pierre Gadois a fait l’objet d’un acte chez le notaire Basset, le 14 mars 1672[21]. Les paiements pourront se faire « en bled froment pelleteries ou argent monnoyés le tout bon loyal et marchand, ayant cours avec les marchand habitan en ce lieu ».[22]
En retour, le sieur Pierre Gadois « a promis et s’est obligé et oblige envers ledit Senelay de l’acquicter, descharger et lndemniser envers ledit sieur Boucher de laditte somme de cent soixante et huict soixante et trese livres douse sols envers luy en fournir de quittance ».[23]
Son service pour Marin Hurtubise sera toutefois de courte durée. En effet, Hurtibise a été inhumé le 12 mai 1672, soit 1 mois après la signature de l’engagement de Jean Senelé. Sa veuve, Étiennette Alton conclu un traité avec Pierre Gadois, chez le notaire Basset le 15 mai 1672 en après-midi pour le service de Senelé.[24]
Par ce traité, les obligations de son défunt mari envers Pierre Gadois ont été revues. Elle consent lui payer la même somme de cent-cinq livres tournois par année qu’Hurtubise lui a promis. Cette somme sera payée en blé froment a chaque trimestre, au prix de trois livres le minot.
Elle a déduit une avance qu’Hurtubise a faite d’une valeur de 22 livres tournois, pour :
« Deux chemises, Une paire soulier françois d’un peignes de corne et buys et une livre de petun[25]».[26]
Ce traité prévoit également qu’une somme de trente-cinq livres sera retenue par Étiennette Alton pour les « hardes » qu’elle aura à fournir à Jean Senelé lors de deux dernières années de son contrat.
Jean Senelé se tire bien d’affaire avec ce traité, car l’une des clauses de son contrat d’engagement chez Marin Hurtubise[27] ne sera pas reconduite dans le traité. Cette clause mentionne que Senelé, « sera tenu et obligé, luy payer et rembourser en journées de son travail, jusqu’à parfait et entier payemens, sans pouvoir aller servir ailleurs, sans laquelle clause c’est présentes neussent esté faites [souligné par nous] ».[28]

Pierre Gadois donne quittance à Barthelemy Vinet dit Larente d’une somme de 72 livres tournois pour une année de gage de Jean Senelé, le 17 décembre 1674[29]. Cette somme a été remboursée comme suit : quinze livres en pieux, blé, pois et travail remis à Gadois au cours de l’année et cinquante-sept livres en pois et blé pour la balance des gages de Senelé.
Le dimanche 26 septembre 1683 en après-midi, Senelé signe une obligation envers Pierre Gadois à la maison d’Abraham Bouat[30] à Montréal. Peut-être s’agissait-il de l’endroit où était l’auberge de Bouat à l’angle des rues Notre-Dame et Saint-François-Xavier?[31] Plus de treize ans après avoir contracté une obligation envers Gadois, il reconnait toujours lui devoir 158 livres des 188 livres que celui-ci a payé au sieur Boucher de Grosbois.[32] Barthélémy Vinet dit Larente a remis à Gadois dix minots de pois d’une valeur de dix écus réduisant ainsi l’obligation de Senelé d’autant.
Gadois et Senelé se sont entendus pour que le remboursement se fasse en 2 versements. Le premier, dans un an (1684), au montant soixante-dix-neuf livres au retour de Senelé d’un voyage aux Outaouais payable en martres au prix du marché au moment du paiement. Le second et dernier versement en 1685, également au montant de soixante-dix-neuf livres, payable soit en blé, soit pelleteries ou argent.[33]
Le 8 août 1685, il se rend chez Bénigne Basset pour signer une obligation envers Barthélémy Vinet dit Larente de « la somme de soixante et trois livres six sols huict deniers, pour avances par luy faite audit debteur [Barthélémy Vinet dit Larente], et Anthoinette Alton sa femme lorsqu il estoit a leur service ».[34] Il s’engage à rembourser cette obligation à son retour de voyage aux Outaouais. Pour les fins de cette obligation, il a « esleu son domicille irrevecable en cette ditte ville, en la maison de Simon Guillory[35] arquebusier ».[36]
En août 1685, Jean Senelé n’a pas entièrement respecté son obligation contractuelle du 26 septembre 1686, envers Pierre Gadois[37]. En effet, cette même journée du 8 août 1685, alors qu’il est chez le notaire Basset pour l’obligation qu’il a envers Vinet et Alton, il signe une nouvelle obligation, qui remplace celle du 26 septembre 1685, par laquelle il reconnait devoir encore 118 livres à Gadois. Senelé s’engage à le rembourser à son retour des Outaouais au printemps 1686.[38]
Conclusion
Malgré ses prestations de services chez Boucher, Gadois, Hurtubise et Vinet, et peut-être à d’autres endroits que les archives ne m’ont pas encore révélées, et ses nombreux voyages de traite de fourrure aux Outaouais, Jean Senelé a amassé peu d’économie. Langlois mentionne que sa veuve doit se départir de leur terre de Sainte-Anne, lorsque Jean Lemoine lui réclame une somme de 118 livres et quinze sols le 20 mars 1688.[39]
Les signatures de Jean Senelé
Il est indiqué aux 2 actes du 14 mars 1672, mentionné dans ce billet, que Jean Senelé n’a pas signé « pour ne sçavoir de ce faire». Par contre, sa signature apparaît dans les actes postérieurs à ceux-ci, dont la référence est indiquée ci-haut :
- L’obligation envers Gadois, du 26 septembre 1684 :
- L’obligation envers Vinet, du 8 août 1685 :
L’obligation envers Gadois, du 8 août 1685 :
[1]↑ Senelé, Jean – fiche 69167 – PRDH-IGD, « Programme de recherche en démographie historique », <https://www.prdh-igd.com/Membership/fr/PRDH/Individu/69167>, (27 octobre 2018).
[2]↑ Michel Langlois 1938-, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois (1608-1700), Sillery, Maison des ancêtres : Archives nationales du Québec, 1998, vol. 4, Lettres N à Z, p. 344‑345.
[3]↑ L’information est tirée de l’acte de mariage publié sur le site Généalogie Québec, disponible sur abonnement, à l’adresse suivante : https://www.genealogiequebec.com/Membership/LAFRANCE/img/acte/67120.
[4]↑ Senelé, Jean – fiche famille 4241 – PRDH-IGD, « Programme de recherche en démographie historique », fr/PRDH/Famille/4241>, (27 octobre 2018).
[5]↑ Le repérage de tous les actes notariés provient de Parchemin, Banque de données notariales du Québec ancien 1626-1801, sous la direction de Normand Robert, Montréal, Société de recherche historique Archiv-Histo.
[6]↑ Greffe du notaire Pierre Duquet de Laschenay (1663-1687) minute 675, 22 décembre 1673, Contrat de mariage entre Jean Senelé et Renée Jousselot, BAnQ-Montréal, microfilm M-167.2.
[7]↑ Ibid.
[8]↑ Ibid.
[9]↑ Arnaud Bessière, La domesticité dans la colonie laurentienne au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle (1640-1710), PhD Thesis, Université du Québec à Montréal, 2007, p. 81‑82.
[10]↑ Ibid., p. 92.
[11]↑ Ibid.
[12]↑ À titre d’exemple, on peut consulter le contrat de concession, de Barthélémy Vinet dit Larente, sur ce blogue en cliquant sur ce lien : http://blogharoldlarente.ca/2018/02/01/6-le-statut-de-barthelemy-vinet-dit-larente-passe-dengage-a-habitant/#more-295 .
[13]↑ Louise Dechêne 1932-, Habitants et Marchands de Montréal au XVIIe siècle, Montréal, 1988, collection « Boréal compact », n˚ 5, p. 66.
[14]↑ Pierre Gadois, armurier de Montréal, frère de Jean-Baptiste I et fils de Pierre, laboureur, il vint au Canada avec ses parents pour s’établir à Québec en 1636 et finalement à Montréal aux environs de 1647. Ce fut probablement Jean Tavernier, dit La Forest, qui l’initia à l’art de la fabrication et de la réparation des armes à feu. Le 12 août 1657, il épousait à Québec Marie Pontonnier. Ce mariage fut d’ailleurs annulé par Mgr de Laval le 30 août 1660, à cause de la stérilité de Gadois, provoqué, paraîtrait-il par un mauvais sort formulé par René Besnard. Son ex-épouse se remariait deux mois plus tard et Pierre Gadois convolait à son tour, le 20 avril 1665, avec Jeanne Besnard, qui lui donna 14 enfants. Source : Russel Bouchard et Ministère des affaires culturelles, Les armuriers de la Nouvelle-France, (Québec : Ministère des affaires culturelles, 1978). Ce document est disponible en version numérique à http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2096619.
[15]↑ Étiennette Alton, épousera, en secondes noces Barthélémy Vinet dit Larente, le 13 juin 1672 et en troisièmes noces, Claude Guarigue, le 18 octobre 1689.
[16]↑ 14 mars 1672, Engagement de Jean Senelay, compagnon, de l’île de Montréal, à Marin Hurtibise, greffe du notaire Bénigne Basset dit Deslauriers [1657-1699], ANQ-M, Microfilm M-620.7
[17]↑ Ibid.
[18] Ibid.
[19]↑ Ibid.
[20]↑ Ibid.
[21]↑ 14 mars 1672, Transport d’une somme d’argent, par Pierre Gadoys, armurier, de l’île de Montréal à Marin Hurtubise, habitant, de l’île de Montréal, à ce présent et acceptant le nommé Jean Senelay, son serviteur, greffe du notaire Bénigne Basset dit Deslauriers [1657-1699], ANQ-M, Microfilm M-620.7
[22]↑ Ibid.
[23]↑ Ibid.
[24]↑ 15 mai 1672, Traité entre Pierre Godays et Étiennette Alton pour service de Jean Senelay, greffe du notaire Bénigne Basset dit Deslauriers [1657-1699], ANQ-M, Microfilm M-620.7.
[25]↑ Définition tirée du dictionnaire Furetière : « Herbe nommée nicotine, tabac, ou barbe à la reine, qui deffeche le cerveau. On la prend en fumée, en poudre & en maschicatoire. C’eft un nom originaire que les peuples de la Floride ont donné à cette plante, d’où elle a été apportée en Portugal & de là en France par Jean Nicod, d’où vient qu’on l’a appellée auffi nicotine. Voyez tabac. », Antoine Furetière (1619-1688), Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts… ([Reprod.]) / par feu Messire Antoine Furetière, 1690, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50614b.
[26]↑ 15 mai 1672, Traité entre Pierre Godays et Étiennette Alton pour service de Jean Senelay, greffe du notaire Bénigne Basset dit Deslauriers [1657-1699], ANQ-M, Microfilm M-620.7.
[27]↑ 14 mars 1672, Engagement de Jean Senelay, compagnon, op. cit.
[28]↑ Ibid.
[29]↑ Cette quittance est au bas du traité du 15 mai 1672 entre Gadois et Alton, op. cit.
[30]↑ Abraham Bouat, valet de chambre de l’abbé de Queylus en 1670, puis aubergiste et marchand bourgeois. Source : Jetté, René, Dictionnaire généalogique des Familles du Québec : des origines à 1730, Les Presses de l’Université de Montréal, 1983.
[31]↑ Abraham Bouat exploitait une auberge à l’angle des rues Notre-Dame et Saint-François-Xavier, source : MSGCF, vol. 44, no 2, été 1993, p.101.
[32]↑ 26 septembre 1683, Obligation de Jean Senelay, de la seigneurie de St Anne vers Batiscan, à Pierre Gadoys, arquebusier, de Montréal greffe du notaire Bénigne Basset dit Deslauriers [1657-1699], ANQ-M, Microfilm M-620.8.
[33]↑ Ibid.
[34]↑ 8 août 1685, Obligation de Jean Senelay, de la seigneurie de St Anne vers Batiscan, à Barthelemy Vinet dit Larente, de Lachine en l’île de Montréal, greffe du notaire Bénigne Basset dit Deslauriers [1657-1699], ANQ‑M, Microfilm M-620.8.
[35]↑ Simon Guillory, (b. 1646 s. 1696) armurier et arquebusier Montréal, fils de François et d’Anne Gaïou, était originaire de Chastrou (évêché de Blois). Il épousait, le 26 novembre 1667, Louise Bouchard. Étant l’un des membres fondateurs de la corporation des armuriers à Montréal, il fut aussi celui qui causa la disparition de l’association en se querellant avec Fézeret. En 1693, il travaillait à la Baie d’Hudson, pour la Compagnie du Nord, et il assistait à la prise du Fort Albany. Sa vie se partage entre ses activités d’artisan et ses activités de négociant de fourrures, se promenant de Montréal à la Baie d’Hudson. Il n’était pas seul à mener une vie désordonnée: son épouse fut poursuivie en justice en raison de vente illicite de spiritueux et «de grands excès de desbauches et autres désordres scandaleux ». D’après Tanguay, Simon Guillory se serait noyé dans les rapides de Saint-Louis en 1696. Source : Russel Bouchard et Ministère des affaires culturelles, Les armuriers de la Nouvelle-France, Québec : Ministère des affaires culturelles, 1978, p. 74.
[36]↑ 8 août 1685, Obligation de Jean Senelay, op. cit..
[37]↑ 26 septembre 1683, Obligation de Jean Senelay, de la seigneurie de St Anne vers Batiscan, à Pierre Gadoys, op. cit.
[38]↑ Ibid.
[39]↑ Michel Langlois 1938-, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois (1608-1700), p. 344‑345, op. cit.